Je suis tatoueur depuis plus de 25 ans et exerce mon art dans le monde entier, mais je ne sais pas si je pourrai poursuivre mon activité en France après le 1er Janvier 2014.
J’ai toujours voulu exercer cette activité de tatoueur dans la légalité et la transparence. J’ai toujours milité pour un véritable statut du tatoueur et une formation diplômante reconnue par l’état. J’ai présenté, il y a quelques mois, au Président de la Région Auvergne, un projet de formation en apprentissage, alternant stage en studio de tatouage et formation en école du tatouage, en ce sens. Le Président Souchon, Président de la région Auvergne, a d’ailleurs attiré l’attention du Ministre de l’artisanat pour que le métier de tatoueur soit reconnu, ouvrant ainsi la porte de l’apprentissage dans un Institut des métiers.
Je crains que cette démarche n’ait plus de sens au 1er janvier 2014. L’arrêté du 6 mars 2013 du Ministère de la santé fixant la liste des substances qui ne peuvent pas entrer dans la composition des produits de tatouage va, de fait, m’interdire d’exercer légalement mon métier.
Les encres de tatouage sont considérées comme des cosmétiques et des colorants additifs. Pourtant leur innocuité ou leur dangerosité n’a jamais été établie pour les tatouages. Aux Etats-Unis, leur autorisation de mise sur le marché devrait être donnée par la Food Drug and Cosmetic Act. Mais les encres de tatouage n’ont jamais été une priorité jusqu’à récemment. Ainsi, aucun pigment n’a été approuvé par la FDA américaine pour être utilisé dans les encres de tatouages. Actuellement, la FDA évalue l’étendue et la sévérité des réactions liées aux tatouages et mène des recherches sur les encres. Ce n’est que récemment que l’Europe a également commencé à essayer de contrôler ce marché obscur, mais maladroitement en raison d’une approche « systématique » niant que le tatouage constitue un modèle toxicologique pour lequel aucun produit n’est habituellement jamais testé (contrairement à la voie cutanée par application, alimentaire, respiratoire …).
Quant à la toxicité des encres de tatouage, il n’existe actuellement que des études in vitro qui posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponse. En effet, certaines études ont détecté la présence de produits à potentiel carcinogène dans certaines encres, parfois sous la forme de produits de dégradation, notamment après exposition UV ou à un faisceau laser. Cependant, ces données sont extrêmement parcellaires, car la carcinogénicité de ces produits n’a pas été établie sur un modèle d’exposition par tatouage. Nous n’avons actuellement que très peu de données sur la quantité de pigment introduit dans le derme, du devenir chimique de ces produits, de la concentration et de l’action des produits de dégradation et de la pertinence biologique in vivo des données précédentes. Des études pharmacologiques in vivo sont indispensables. Le risque de passage systémique de composés des encres reste, là aussi, spéculatif, bien que la présence de nanoparticules dans les encres de tatouage ait bien été établie.
En consultant les annales de dermatologie, on trouve très peu de cas de maladies liées au tatouage. Le plus souvent des problèmes d’infection dus à un défaut d’hygiène. Quelques cas de réactions allergiques sont décrites ; souvent dans des situations très particulières, voire exceptionnelles. Par contre, les réactions allergiques au henné lors de tatouages labiles ne sont pas rares et dues, non pas au henné brun, mais au fixateur et colorant noir ajouté, la paraphenylènediamine (PPD). Surtout dans les pays du Maghreb et, particulièrement, au Maroc.
Nous avons le recul de plus de 15 ans sur l’utilisation des encres couleurs. Qu’en est-il de l’apparition de cancer chez les individus tatoués et chez les tatoueurs, eux-mêmes à 99% tatoués ?
Quelques patients tatoués ont développé des cancers, sans pouvoir associer l’origine de la maladie au tatouage. Rapporté au nombre de tatoués, le pourcentage de cas n’est pas plus important que chez les non-tatoués.
L’ASNM travaille, en collaboration avec les autres pays de la communauté, à la rédaction d’un rapport sur les produits de tatouage. Il serait sage d’attendre la conclusion de ce rapport.
Un débat entre scientifiques et professionnels du tatouage sur les encres couleur s’est récemment tenu à Copenhague lors de l’ECTP « Congrès européen sur le tatouage et la recherche sur les pigments » 2013. Cette conférence internationale a été organisée par Nicolas Kluger, dermatologue français de renom et spécialiste du tatouage, et Jørgen Serup, Directeur du département de dermatologie à l’hôpital universitaire de Bispebjerg. Ils avaient invité les représentants des syndicats de tatoueurs allemands, le DOT, et français, le SNAT, ainsi que le Directeur de marque d’encres Intenze et celui de la marque Eternal. Ce congrès a marqué le premier pas de ce que l’on espère être une longue et fructueuse collaboration entre hommes de science et professionnels du tatouage pour aller vers plus de rigueur scientifique dans l’approche des risques liés au tatouage.
Les professionnels du tatouage sont dans une démarche positive de réglementation de leur profession. Par contre, comme l’histoire l’a toujours démontré, la prohibition a systématiquement généré une économie parallèle. Renvoyer les tatoueurs dans les arrière-cours, c’est mettre en danger la santé de milliers de personnes qui, de toute façon, voudront se faire tatouer. Ou bien les forcer à l’exil frontalier pour exercer leur art, ce qui équivaudrait à renier une activité forte de milliers de professionnels.
Certains de ces colorants qui seraient interdits sont classés 2, comme le téléphone portable qui est classé 2B.
Il est tout de même étrange que des chirurgiens effectuant une mastectomie pour enlever une tumeur cancéreuse préconisent de tatouer un mamelon lors de la reconstitution du sein. Je n’ose penser que ce mamelon sera tatoué en gris ou en noir.
Dans ce dossier, comme dans certains précédents comme le lait cru, il est à craindre que le Ministère de la santé ne prenne des positions extrémistes et alarmistes sans réel fondement scientifique.
Une pétition contre cet arrêté a été lancée et a recueilli en quelques jours plus de 100.000 signatures.
Madame la Ministre, la sagesse voudrait que vous suspendiez cet arrêté. Personne ne vous le reprochera, si ce n’est quelques fonctionnaires du Ministère de la santé jouant à «Pierre et le loup» au nom du principe de précaution. A contrario, vous auriez la reconnaissance des tatoueurs, des tatoués et candidats au tatouage qui sont beaucoup plus nombreux.
Le tatouage est un phénomène de société et non un éphémère phénomène de mode.
Et, au-delà d’un très hypothétique, voire imaginaire, problème de santé, c’est la mort de plusieurs milliers d’emplois en France que vous allez signer et qui, soit iront exercer en pays frontaliers, soit se réfugieront dans la clandestinité.
Je vous prie, Madame la ministre, de faire preuve de pragmatisme. Aucun lien n’a été fait entre le tatouage et le cancer. Il n’y a pas eu de mort due à un tatouage, quel qu’il soit. Alors pourquoi cet acharnement à ne pas vouloir faire d’étude sur la dangerosité ou l’innocuité du tatouage qu’il soit en couleur ou non ?
Une réunion va se tenir mercredi entre l’Agence Nationale de Santé et les représentants des tatoueurs. Donnez s’il vous plait des instructions pour que vos fonctionnaires fournissent une raison d’espérer et que l’arrêté du 6 mars 2013 ne s’applique pas tant que des études sérieuses n’auront pas été menées ainsi que le propose le Docteur Nicolas Kluger.
Ce dernier, dermatologue français spécialiste des questions médicales sur le tatouage et le piercing, membre de la Société française de dermatologie, de la Société finlandaise de dermatologie et de l’Académie européenne de dermatologie et de vénéréologie, ancien membre expert du Groupe ad hoc sur les encres de tatouage à l’ASNM milite depuis plusieurs années pour que des études pharmacologiques soient menées in vivo. Il est mondialement reconnu comme expert en ce domaine. Il serait souhaitable que le ministère de la santé prenne en compte son opinion.
Dans l’attente d’une réponse favorable à ma requête
Veuillez croire, Madame la Ministre, en l’expression de mon profond respect
Stéphane Chaudesaigues