Je souhaitais vous présenter un peu plus Paul Motta. Il y avait bien le fameux Jack, avec le « la » en plus… Mais les uppercuts de Paul… Ça vaut le détour, car il les envoit sévère quand même.
Mais par la plume ou son franc parlé. Il faut, pour ceux qui ne connaissent pas encore le personnage, vous ruer dans les kiosques pour acheter le dernier Inked, ils ont su apprivoiser la « bête » le temps d’un article. Nous avons eu le plaisir de l’accueillir, pendant le Festival du Tatouage de Chaudes-Aigues et découvrir ou re découvrir son talent… Un seul mot, bravo.
Inconnu... Enfin, inconnu d’une bonne partie de la scène tattoo française...
Parce que pour les clients fidèles pour beaucoup qui remplissent un bon paquet de pages de son carnet de rendez-vous, Paul Motta est loin d’être un inconnu. Il en est même quelques-uns, de ces clients, qui classent Paul Motta parmi les (sinon le...) meilleurs tatoueurs de ce pays. Dans un coup de gueule anti scratcheurs poussé sur la page Facebook de son Sakura Studio au début de cette année 2013, Paul Motta semble prendre ça avec autant de distance que d’humour: « j’entends souvent dire: Paul, c’est le meilleur, le tatoueur de Gardanne, c’est le meilleur de France, etc. etc... Certes, cela me touche énormément, je ne vais pas vous le cacher, mais personnellement, je ne pense pas qu’il y ait de meilleurs tatoueurs que d’autres ; il y en a simplement qui se lèvent tous les matins en essayant d’être meilleur que la veille et qui s’évertuent à donner toujours le meilleur d’eux-mêmes à chaque client ».
Paul nous l’a répété́, dans sa conception du métier de tatoueur, l’indispensable est de « penser au client, de privilégier la relation tatoueur-client ». Paul Motta s’explique « il m’est impossible de m’embarquer dans un projet sans avoir rencontré le client. Et le tatouage, c’est intime, c’est quand même quelqu’un qui te laisse pénétrer sa peau ». « Le tatouage » poursuit Paul Motta, « c’est un partage ». Un partage qui ne se limite pas aux clients. Paul a comme tatoueur, et au fil de ses nombreuses années de métier, formé pas mal d’apprentis. Dont Didier Ra, pour n’en citer qu’un. Des apprentis que Paul remercie aujourd’hui sincèrement « parce qu’ils m’ont autant appris que l’inverse », parce que, estime Paul, « on apprend des trucs de tout le monde ». Et la porte de Paul a toujours été́ ouverte aux autres tatoueurs. Pierrot de 13Bis à Laon (le spot du n°15 d’Inked) nous avait déjà̀ expliqué tout ce qu’il devait à Paul Motta. Pierrot qu’on remercie, d’ailleurs, au passage, d’avoir fait les présentations.
Donc si beaucoup ignorent aujourd’hui l’existence de Paul Motta, c’est qu’il l’a, quand même, un peu cherché ! Très peu de presse donc, un site internet aux oubliettes, une page Facebook finalement assez récente, peu sinon pas de conventions (le Festival du Tatouage de Chaudes-Aigues où Inked l’a rencontré était le premier évènement auquel Paul participait depuis très, très, mais alors très longtemps).
« Je suis un sauvage » reconnaît, dans un sourire, Paul Motta, « timide, introverti même. Pendant longtemps, je ne m’intégrais nulle part ». Et même si, pendant la bonne heure passée en sa compagnie, Paul s’est avéré́ aussi charmant que captivant, on a quand même bien senti qu’il se serait senti mieux à la pêche, seul au cœur de la nature, qu’à cette terrasse de bistrot.
Une vieille passion, la pêche, pour Paul Motta. Parce que Paul est né en Sologne, une des dernières régions de France encore vraiment sauvage, avec une multitude d’étangs évidemment propices à taquiner le goujon et de profondes forêts où se planquait, il y a déjà̀ maintenant quelque temps, Thierry la Fronde, notre Robin des Bois à nous. Cette Sologne de bois et d’eau, Paul Motta y a passé toute son enfance et une grande partie de son adolescence.
Sans croiser grand monde. Il en reste, évidemment, quelque chose dans son caractère. Et tout aussi évidemment, le déménagement familial dans les Bouches-du- Rhône et la découverte, à 17 ans et pour la première fois, d’une grande ville a quelque peu perturbé Paul.
Pas très urbain (à tous les sens du terme), donc Paul. Une des raisons à son relatif manque de notoriété́, même après avoir traversé largement plus de deux décennies dans le tatouage français.
Paul est aussi et surtout quelqu’un qui n’est jamais là où on l’attend. De ses racines méditerranéennes, Paul a hérité́ de ce nom, Motta, qui claque comme celui d’un personnage d’un film de Scorsese. Et Paul a ce qu’on appelle une gueule. À la Johnny Cash, pour situer (en fait, vous avez juste à côté́ les photos de Dams, pour situer, justement). Et quand on le voit débarquer au volant de son hot rod, tous les doigts de la main gauche bagués de turquoises navajo style, la première impression serait que Paul est à fond dans le old school, la kustom culture. Paul en rigole (jaune, un peu, le rire...) :
« la kustom culture... ces pin-up qui ne savent même pas qui est Elvis !.. ». Sous le soleil du Cantal, Paul portait une chemisette frappée du logo de Sun Records, le mythique label sur lequel Elvis a enregistré ses premiers titres entre 1954 et 1955. Donc on se dit que Elvis, ouais. Mais la kustom culture, beaucoup moins. Et le old school, encore moins : « tu en as trop vite fait le tour, trop facile, pas assez prenant » balance Paul. Comprendre sans réel enjeu technique et artistique pour un tatoueur « exigeant, méticuleux » (« je dois ça à ma formation première de menuisier ébéniste » explique t-il), qui a besoin qu’une pièce soit « chiadée » pour y prendre du plaisir.
Un Paul Motta qui a « appris à tatouer à une aiguille, en one line », est ensuite « passé à des trucs plus fins, à une clientèle qui n’était plus composée que de bikers », se passionne aujourd’hui pour la « belle ligne, la profondeur », le réalisme (« une sacrée école ! Une fois que tu as ça... »), le néotrad, voire le bio- mécanique (le bras du réalisateur Jérôme Godard lui a valu un prix à Chaudes-Aigues) ou le japonais.
Sakura Tattoo: le nom de son shop de Gardanne pourrait d’ailleurs prêter à confusion. Sakura, soit en V.O., le très symbolique cerisier en fleurs, un des classiques du tatouage japonais. Une enseigne qui pourrait donc laisser croire que Paul Motta ne fait que du japonais. « Sakura ? » lâche Paul, toujours dans un sourire, « c’est un pote qui a trouvé le nom. J’ai trouvé que ça sonnait bien. C’est tout... ». Enfin, du japonais, Paul en tatoue un peu, « à sa sauce » toujours « parce que tatouer des carpes koï, à longueur d’année, je l’ai fait et ça n’a rien de marrant... ». Quelques babioles (et, hum, quelques photos de bondage) disséminées dans le shop racontent aussi une certaine influence de cette Asie-là.
Mais la culture dont se revendique clairement Paul est celle des Amérindiens, de l’Amérique d’hier, de la Conquête de l’Ouest. Avec une quarantaine de bénévoles, Paul a carrément passé, pendant dix ans, tous ses week-ends et toutes ses vacances, habillé « old style » à Eldorado City, un parc d’attractions western installé à Châteauneuf les Martigues, à l’ouest de Marseille. Pourtant les Etats-Unis, Paul n’y a jamais mis les pieds. Ses voyages, Paul affirme les « faire à travers les projets de ses clients ». Paul n’a jamais trop bougé en fait.
Sauf dans les années 80, quand un peu tiens, en y réfléchissant, à l’image des Compagnons d’antan- Paul est parti à la rencontre des rares tatoueurs que comptait alors la France. Paul, à qui un pote avait fait partager sa passion pour le tatouage, Paul qui dessinait un peu, s’est dit « il faut que tu essayes ». Parce qu’il est comme ça Paul, il a besoin de « mettre les mains dedans ». Paul est à peine sorti de l’adolescence (mais quand, comme lui, tu commences à bosser à 15 ans, que tu as une fille à élever très jeune, l’adolescence est une période que tu ne laisses pas s’éterniser) et sa route va croiser celles de tatoueurs historiques que les moins de 20 ans se devraient aujourd’hui de connaitre : Michel et Allan à Marseille, Bruno à Paris, Norbert à Grenoble, Jo Marina à Nantes chez qui Paul se procure ses premières machines...« Une autre époque où, raconte Paul Motta, il fallait avoir des gros bras pour tatouer et se faire tatouer, où personne ne voulait de tatouages artistiques parce que ça faisait tapette ! ». Une époque où chez ces tatoueurs historiques, Paul Motta observe, récolte encouragements et quelques conseils. Mais c’est en « autodidacte complet » que Paul apprend à tatouer. Il y aura ensuite d’autres rencontres comme celle de la famille Leu, « des gens ouverts » ou de Stéphane Chaudesaigues autour (si on a tout bien suivi : il était tôt, on s’était couché tard, très tard...) de l’acquisition d’un stérilisateur.
Et l’ouverture d’un premier shop en 1992. Suivi en 1996, de l’association (« je n’avais rien dans les poches » précise Paul) avec, entre autres, le pierceur Olivier Santini, sous l’enseigne Body Season (aujourd’hui, B.S.A.) à Aix-en-Provence. Mais c’est vite « trop de pression » pour Paul qui pense jour et nuit à ses clients, à ses dessins, à ses compos, à ses mises en place et « sature ». Comme Paul a le respect de la parole donnée, il s’installe chez lui, avec juste l’idée de terminer les pièces de ceux qu’il avait commencé à tatouer chez Body Season. Paul habite, si vous avez lu ce papier depuis le début, vous vous en doutez un peu- dans un coin complètement paumé, au cœur de deux hectares de terrain juste traversés par une piste qui l’oblige à aller chercher ses clients avec son pick-up Chevrolet (avec flaming, nécessairement, sur les flancs noirs de l’engin...). Paul tatoue donc à la maison pour respecter ses engagements, pense ensuite même presque à arrêter le tattoo. Jusqu’en 2006, quand Alain, un client qu’il avait tatoué pas loin de vingt ans auparavant et qui vient de réchapper d’un cancer, lui « lâche un local pour rien ». Un joli geste puis presque un an de travaux et voilà Paul Motta installé à Gardanne sous l’enseigne Sakura. Et quand, quelques lignes plus haut, on vous expliquait que si Paul Motta reste méconnu, il le fait un peu exprès, s’installer à Gardanne participe du truc. Parce que si on connait plutôt bien ses voisines d’Aix-en-Provence ou de Marseille, Gardanne, c’est moins ça. Même si la cité cache un centre ancien qui semble n’avoir pas trop changé depuis qu’il a été́ peint par Cézanne, on en garde le souvenir d’une ville autrefois minière, aujourd’hui toujours très industrielle. Et si l’on en croit Paul, Gardanne fournit un pourcentage non négligeable de détenus à la prison des Baumettes de Marseille. Pas forcément le genre d’endroit où passer ses vacances, donc.
Du coup, on se dit que ce n’est peut être pas un hasard si Paul s’est installé à Gardanne, plutôt que dans la « pseudo- bourgeoise » (on le cite) d’Aix-en-Provence. Parce que Paul est clairement un mec un peu marginal (y compris dans le milieu du tattoo) mais d’une rare intégrité́. Un mec que tu crois sans broncher quand il te déclare qu’il ne « fait pas ce boulot pour le blé́ ». Un mec qui « n’est jamais content de son travail ». Qui doute. Encore. Toujours. Même s’il tatoue depuis 1988. Une belle leçon d’humilité́. La marque des grands. Et Paul en est un. Qui méritait bien cette rubrique Icône. Même s’il n’est pas tatoué. Juste une bricole sur l’avant-bras, lointain souvenir d’une rupture amoureuse.
PAUL MOTTA
Sakura Tattoo Studio
Av de Toulon, résidence Beausoleil, bat C2 13120 Gardanne, France Tél. 06 11 76 06 49 sakura-tattoo-studio.com
Par François Chauvin, photos Dams