Journaliste ayant notamment écrit pour le magazine Inked et auteur passionné de tattoo, François Chauvin dresse un portrait par le menu de Stéphane Chaudesaigues et, par la même occasion, de Graphicaderme, Tatouage & Partage, Pain, Vin, Fromages… et le Cantal Ink. Un tableau peint à l’encre de dermographe que nous vous invitons à découvrir.
Pain, Vin, Fromages. C’est l’explicite enseigne d’un restaurant qui s’installera, courant 2018, aux portes du casino de la petite cité thermale de Chaudes-Aigues. Une toute nouvelle adresse à l’initiative de Stéphane Chaudesaigues et de son épouse, Cécile. Un restaurant. Donc un univers qui semble à quelques années lumières de celui dans lequel évolue Stéphane Chaudesaigues. Mais qui s’explique. Pleinement. D’abord Cécile est, comme on dit, du métier. Ensuite, Stéphane n’est jamais à court d’idées, d’envies, de projets pour faire vivre et connaître Chaudes-Aigues, cet encore discret coin du Cantal qu’il se plait aujourd’hui à appeler « mon village ».
Son enfance, Stéphane Chaudesaigues la traverse pourtant loin de Chaudes-Aigues. À Versailles. Attends, attends… Pas le Versailles du château et de ses ors, pas le Versailles des lodens, des serre-têtes et des jupes plissées, non, non : le Versailles des « loubards », des « barres HLM, tristes, glauques ». Milieu prolo, mais pas miséreux : « On vivait en HLM mais on était heureux ». Heureux mais en quête de ses racines, l’enfant Stéphane, avec un père qui « s’est un peu contenté de lui laisser son nom », qui l’a « un peu oublié, pour ne pas dire abandonné… ». Alors, devant le petit écran, Stéphane avec l’ « imaginaire d’un enfant de 6 ans » se persuade qu’il « vient de ce petit village », qu’à Chaudes-Aigues sont effectivement « ses racines » : « C’était rassurant, je me suis construit avec ça ».
Un festival du tatouage ? À Chaudes-Aigues ? Dans une « zone rurale » un peu loin de tout ? C’est le projet, a priori un peu fou (« personne n’y croyait »), qu’a concrétisé Stéphane en 2013. En invitant dans cette petite station thermale la crème des tatoueurs internationaux pour le Cantal Ink qui, plus qu’une convention de tatouage, est – comme son sous-titre le précise – un festival, riche de multiples événements (concerts, expos, spectacles, conférences...) éparpillés dans le bourg. Une manifestation comme il n’en existe pas d’autres, en France ou ailleurs, et qui, dès le week-end de sa première édition, a vu défiler quelques 10 000 personnes dans un bourg qui, à l’année, ne compte même pas 1 000 habitants. Un Cantal Ink à l’ambiance des plus familiales, tout en convivialité, en proximité avec les tatoueurs invités, même avec les stars américaines (vues à la télé !) qui, pour certaines, sinon toutes, se déplacent par amitié pour leur collègue Stéphane Chaudesaigues.
Stéphane pénètre, quand même, un peu dans les arcanes du tatouage professionnel. En trainant ses guêtres, plus souvent qu’à son tour, chez les grands anciens. Comme Bruno, dans son studio de Pigalle, le premier à avoir ouvert à Paris, dès 1963. Ce Bruno, que Stéphane a déjà, par plusieurs fois, invité à évoquer son histoire, son métier de tatoueur lors du Cantal Ink. Juste retour des choses.
Et Stéphane s’« investit » dans le tatouage, « à une époque où personne n’en voulait, où le tatouage n’était pas fait pour plaire ». « On mangeait les cailloux qu’on nous jetait » lâche aujourd’hui, dans un demi-sourire, Stéphane. Il ouvre pourtant sa première boutique, dès 1987 (Stéphane n’a alors que 19 ans…) : quelques mètres carrés à peine, sous l’enseigne Art Tattoo, sur la petite place Pignotte, derrière les remparts d’Avignon. Une boutique qui transforme son nom en Graphicaderme en 1989. Un nom que porteront quelques petites sœurs, à Vaison-la-Romaine, Orange, Valence, Nîmes… et, depuis 2013, à Chaudes-Aigues.
À ses débuts comme tatoueur professionnel, Stéphane continue à apprendre : « Toutes les techniques pour évoluer et pour essayer de sortir un peu du lot étaient bonnes à prendre. Il fallait aller chercher l’information partout pour essayer d’être créatif et trouver sa petite voie ». Sa voie – plus royale que petite –, Stéphane la trouve, au travers du réalisme, un style de tatouage qu’il va faire sien. Avec une inclinaison très marquée pour le portrait. Et le noir et gris. Et des techniques qui lui sont propres : Stéphane Chaudesaigues est ainsi un des tout premiers à oublier les classiques outlines pour obtenir un rendu plus proche de la peinture que du tatouage. Stéphane affine ensuite ce style (son style), accomplit quelques « prouesses techniques », dilue ses encres noires pour gagner en profondeur, en luminosité, en réalisme justement. Même principe de dilution pour ses effets sépia qui rappellent les photos d’antan. Stéphane parvient également, quand il s’essaye à la couleur, à obtenir « il y a 25 ans, des subtils dégradés de rose, de bleu pale, aquarellés… ».
Stéphane, déjà très famille (papa dès 18 ans, il a aujourd’hui sept enfants et quatre petits enfants !), en trouve une autre dans le tatouage. Une famille avec laquelle Stéphane a – ce qu’il n’a pas connu à ses débuts – envie d’ « échanger, d’apprendre, de transmettre ». Ainsi sont les fondements de l’association qu’il créé en 2011 et dont le nom dit beaucoup sinon tout : Tatouage & Partage. Stéphane est aujourd’hui « toujours à fond » dans cette association dont il assure la présidence. Pour le côté partage, c’est l’organisation de séminaires dans lesquels les plus grands (Shane O’Neill, Nikko Hurtado, Hannah Aitchison, Joe Capobianco, Jeff Gogue…) dévoilent leurs techniques. Prochain rendez-vous, d’ailleurs, en novembre 2017, dans le palais des Papes (à Avignon, naturellement) avec Joshua Carlton et Thomas Carli Jarlier.
Le siège de Tatouage & Partage est à Avignon, ville à laquelle Stéphane est resté fidèle (il y tatoue encore, de temps à autre, aujourd’hui). Même si, jusqu’en 2014, il tatouait quelques jours par semaine à Paris, à La Bête Humaine/Atelier 168, sa boutique fondée en 2006, à l’ombre de Beaubourg et à l’orée du quartier du Marais. Mais ce qui devait arriver, arriva : Stéphane s’est installé à demeure à Chaudes-Aigues, en juin 2015. Les lourds travaux engagés deux bonnes années plus tôt sont terminés. Stéphane peut vivre en famille dans une maison emblématique de Chaudes-Aigues, ancienne propriété d’un certain Pierre Raynal, médecin mais aussi et surtout personnalité politique de premier plan : maire de la commune, président du Conseil Général, député du Cantal (comme suppléant de Pompidou, l’enfant du pays devenu Président de la République). Un bon docteur, auteur en 1976 d’un bouquin dont le titre est déjà tout un programme : Cantal, la vie ! Un programme dans lequel se reconnaît un Stéphane Chaudesaigues. Enfin, on suppose… sans trop risquer de se gourer avec un tatoueur qui raconte volontiers ne pas se lasser des paysages cantaliens « un peu bruts, vierges (…), il y a ici une force qui me plait ». Si, au cours des siècles derniers, beaucoup d’Auvergnats ont quitté ces paysages-là pour rejoindre la capitale, Stéphane Chaudesaigues s’est donc finalement décidé à emprunter le chemin inverse. Un retour aux sources. Sans mauvais jeu de mots. Même si Chaudes-Aigues en compte quelques-unes dont la mythique source du Par, l’une des plus chaudes d’Europe avec ses 82°C naturels !